Une parole impeccable, réflexion inspirée des quatre accords toltèques, de Ruiz.
Au mois de janvier déferlent sur notre planète des quantités de mots agréables, comme une vague qui bientôt s’aplatit. C’est que janvier est le mois du dieu Janus au double visage, l’un en l’occurrence regardant vers l’année qui s’achève et l’autre tourné vers l’année qui commence, alors, quel que soit le bilan personnel, familial, national ou planétaire de l’année passée, nous nous exhortons les uns les autres à vivre une année meilleure et nos paroles cherchent à en donner l’impulsion. Oui, mais voilà, est-ce que ça marche, et qu’en est-il le reste des mois ? Notre parole est-elle puissante et bienfaisante ? Est-elle impeccable, comme dit Ruiz dans Les Quatre accords toltèques ? Si besoin est, comment nous améliorer ? La question est d’importance parce que nous parlons beaucoup et que nous pensons encore davantage ! Pour y répondre, inspirons-nous des Quatre accords toltèques sans nous y enfermer, et commençons par nous laisser guider par l’étymologie. Qu’est-ce qu’une parole impeccable ?
Le mot parole exprime selon le dictionnaire la faculté d’exprimer sa pensée dans un langage articulé, et il vient de « parabole », c’est-à-dire récit fondé sur une comparaison. Zut de zut ! Nous voilà d’emblée embarqués dans une histoire qui manque de simplicité … J’aurais pensé qu’exprimer ma pensée ce serait aller au but, comme Jésus Christ le conseillait sans ambages : « Que ton oui soit un oui, que ton non soit un non ! » Eh bien il paraît qu’en utilisant la parole, je ne peux dire un oui direct, il faut que je le compare… à quoi ? Quel référent obscur se cache donc derrière le mot oui ? Mystère… Laissons cela pour l’instant et tentons notre chance du côté du mot impeccable.
Là, me dis-je, je vais être à mon affaire, les parties du mot s’ajoutent sagement comme des petits wagons et nous aurons un sens limpide. D’ailleurs, il est plutôt sympathique ce mot « impeccable » : on l’emploie même si souvent qu’il en a reçu une amicale abréviation: « Impec ! » Avec un petit mouvement du pouce en l’air, nous serons dans une très bonne ambiance. Allons-y donc. Im, ça veut dire ne pas, comme mangeable, immangeable ; et –able ? ce suffixe -able indique la possibilité : mangeable, c’est ce qu’on peut manger, mais si c’est immangeable, on ne peut plus. Et pec ? Tiens, c’est la racine du mot péché ! En gros : impeccable signifie qui ne peut pas pécher. Je ne m’y attendais pas.
Il devient urgent de chercher ce que signifie « pécher ». Très exactement, ça veut dire trébucher (dans pec on retrouve la même racine latine que dans le mot « pied »). Trébucher, d’où se tromper de chemin, manquer sa cible. Une parole impeccable est donc une parole à laquelle il est impossible de manquer sa cible. Le but visé étant immanquablement obtenu, une parole impeccable est une parole de puissance forcément suivie d’effet, une parole magique. Mais on sent bien qu’on aurait du mal à décerner le titre de parole impeccable à une condamnation à mort suivie de l’exécution de la sentence comme de la personne. C’est donc qu’il faut garder aussi à l’esprit le sens commun du mot péché, et considérer comme impeccables seulement les paroles qui ne peuvent être mauvaises, les bonnes paroles, les paroles de vie, celles qui ne peuvent absolument pas contenir de potentiel destructeur, autrement dit des paroles sans péché.
A ce sujet le chapitre des accords toltèques sur la parole impeccable est on ne peut plus clair. Toute parole même la plus anodine, a selon les toltèques un pouvoir magique : magie noire si elle est négative, magie blanche si elle est bienfaisante, et cette magie s’exerce grâce au consentement que nous lui donnons. On nous dit quelque chose, et nous en « tombons » d’accord. Par exemple d’une façon toute simple, quand on nous a appris à parler, on nous a enseigné comme une vérité universelle que cet objet-ci par exemple s’appelle une table, et nous avons dit: OK pas de problème ! Nous avons appris et retenu la leçon pour la vie. Pouvions-nous d’ailleurs faire autrement ? Pouvions-nous décider que cet objet dit table s’appelle en vérité disons… marsupial ? Nous avons dû obtempérer sous peine d’être amené un jour ou l’autre chez le psychologue ou le neuro-psy – et attention, nous ne sommes toujours pas à l’abri ! si un jour nous l’oubliions, on nous y ramènerait ! Je me souviens qu’un des livres préférés de mes enfants était Le prince de Motordu, de Pef. Vous connaissez ? Ce prince vivait dans un chapeau et gardait un troupeau de boutons, il mangeait des petits bois à s’en rendre salade et tout le monde était content… Il est bien agréable de prendre quelques distances avec les conventions !
Quand nous naissons, la page est blanche. Nous ne nous sentons ni mâle ni femelle, ni Français ni Syrien, nous n’avons aucun sentiment d’appartenance à quoi que ce soit de social, nous ne parlons aucune langue. D’ailleurs nous n’avons aucune parole à notre disposition, notre cerveau n’étant pas assez fini et nous sommes globalement incapables d’être autonomes. Sans les grands, nous mourrions. Donc les grands veillent sur nous, et eux, ils disposent de croyances et de langues, ils ont la parole. Ils vont s’en servir pour nous transmettre ce qu’ils savent de la vie puisqu’on ne peut pas transmettre autre chose que ce qu’on est, ce qu’on croit, ce à quoi on a soi-même donné son accord. Le terme toltèque pour qualifier ce processus de transmission est très dur puisqu’ils le nomment carrément domestication.
Qu’est-ce que c’est exactement, la domestication ? C’est au sens littéral un processus qui permettra à l’objet de la domestication de vivre à la domus, à la maison. Sinon quoi ? Sinon il serait sauvage, donc libre, donc dangereux. Au contraire, bien domestiqué, il deviendra agréable et utile, voire utilisable. Nous exerçons cette volonté sur toute la nature : le loup deviendra chien, voire chien-chien à sa mémère, le cheval sauvage apprendra à supporter sur son dos le poids d’un homme, fût-il pesant et malpropre et il ira dormir dans un petit box obscur etc. Même les éléments naturels seront domestiqués : on endigue et canalise l’eau, on enferme le feu dans un brasero. Qu’en est-il du domestiqué ? Le maître mot de la domestication, c’est « Tais-toi », quand ce n’est pas « Ta gueule ». Le domestiqué dépend de la bonté du dompteur, car le principe de la domestication repose sur la supériorité du dresseur dans un monde où tout est séparé de tout, donc potentiellement dangereux. Parfois on s’en sort bien, parfois non, pas du tout.
Et lorsque l’eau, le feu, la terre et l’air parlent et se rebellent, lorsque le chien mord, lorsque le cheval se cabre et que la terre tremble, nous crions au secours. La peur nous envahit, parce que nous n’avons pas appris à communiquer autrement avec la nature que par la domestication, qui est une forme de destruction de l’identité profonde par le dressage. A l’heure où j’écris ces mots d’ailleurs, par une facétie de la nature, mon chat rebelle m’a profondément mordu la main pour m’exprimer son désaccord avec mon règlement… J’avoue avoir cru bon, une fois qu’il a bien voulu me lâcher, de lui donner quelques claques éducatives et de le mettre dehors.
Il ne s’agit pas ici de dénoncer toutes lois parce qu’il faut bien de l’ordre pour que règne l’harmonie entre les êtres, mais avons-nous toujours fait preuve de discernement ? Ayant personnellement donné notre accord à beaucoup d’impératifs et beaucoup d’interdits de nos sociétés, nous avons peu à peu et avec la meilleure volonté du monde enfermé nos petits dans de nombreuses autres conventions que l’apprentissage de la langue dite natale. A la même époque que cet apprentissage, nous les avons baignés de « Il faut-il ne faut pas », il faut dire bonjour à la dame, mais il ne faut pas tirer la langue à papa, il faut aller se coucher et tant pis si on n’a pas sommeil, mais il ne faut pas jeter son assiette pleine par terre, quand bien même on voudrait faire comprendre qu’on n’a vraiment plus faim. Les ordres que nous donnons sont souvent des interdictions, tant notre esprit a été habitué au négatif par les ordres et les interdictions de notre famille, nos profs, la société, la religion. C’est normal, un ordre auquel on consent joyeusement, c’est une invitation, une proposition, il n’y a pas de dressage là-dedans. Je me souviens d’une joyeuse chanson de Jacques Dutronc Fais pas ci fais pas ça, très défoulante à entendre.
Une statistique récente affirme qu’un enfant reçoit une centaine d’ordres par jour et qu’il donne son accord à 90 % des ordres qu’on lui donne. Si l’adulte insiste sur les 10%, il obtient la reddition de l’enfant! Eh oui, c’est cela la domestication.
Ce pourcentage étonnant montre la puissance de la parole et aussi l’énormité de la peur que nous inspirons aux enfants mis en demeure d’obéir sans arrêt. Ils ont peur parce que nous sommes très grands en taille, mais surtout parce que même inconsciemment, nous pratiquons la politique de l’amour sous condition. Si tu obéis, tu es gentil, si tu désobéis, tu es méchant. Et si tu es méchant, tu seras puni, frappé, et maman (ou qui vous voulez) ne t’aimera plus, si tu es gentil tu auras un bonbon et un baiser, maman sera contente. Or maman, c’est la grande, elle ne peut pas se tromper et ce genre de paroles entraine deux horribles conséquences : cela imprime qu’il n’y a pas d’amour gratuit et absolu et que tout amour en fait se vend puisqu’un amour conditionnel c’est un amour qui n’est pas donné, mais vendu le prix de la domestication. Et cela enseigne à l’enfant à se désaimer, coupable de ne pas pouvoir toujours être conforme à l’attente des autres. Il n’y a pas que les ânes qui sont sous le régime de la carotte et du bâton. A contrario, plus on aime, plus nos paroles sont impeccables. Aimons-nous assez ? L’amour est-il la principale raison de nos paroles ?
Donc, au fur et à mesure de leur domestication, les Toltèques remarquent que les capacités de résistance des enfants ordinaires se réduisent à leur minimum, vu que le plus important à leurs yeux, c’est l’amour. L’enfant veut être aimé, comme tout le monde, comme tout l’univers, et il apprend à obéir pour être aimé. Rappelons-nous : plus nous avons grandi, plus on nous a instillé de croyances : par exemple qu’il faut travailler dur pour vivre, qu’il faut partir à la guerre si on nous l’ordonne, qu’il faut produire toujours davantage pour que la société fonctionne, qu’il faut croire que Dieu est comme ci comme ça, ou alors que Dieu n’existe pas et que rien ne dépasse l’intelligence humaine. Chaque fois, pour être aimé, accepté, nous avons donné notre accord.
Pour être complets, les Toltèques ajoutent à ces conditionnements toutes les mauvaises paroles prononcées sans volonté éducative, des sortes d’éjaculations précoces libérées par les uns et les autres à la moindre stimulation dans le trop plein de nos émotions négatives que nous n’adressons pas seulement aux enfants mais à tout âge les uns aux autres. Le « Tais-toi tu chantes faux », le « Quel abruti çui-là », le « Vous n’en ferez-rien madame », etc. Et combien de parents ont-ils spécifié à leur enfant qu’ils étaient des « accidents », qu’on n’en voulait pas ? Magie noire.
Ce genre de paroles ne sont que la projection sur autrui d’un point de vue négatif personnel donc faillible. Imaginez-vous un marais. De temps en temps, plop ! des bulles puantes éclatent à sa surface. Eh bien, comme l’air ambiant au dessus de ce marais n’est pas responsable de la bulle de méthane qui l’empuantit quand elle remonte de la vase, ainsi nous nous ne sommes pas responsables de la colère ou du mépris de l’autre : cette colère et ce mépris l’habitent et crèvent la surface mécaniquement, nous ne sommes que l’occasion de cette pestilence. Nous ne sommes responsables que de notre réaction : entendre si malgré tout quelque chose est bon pour nous dans ce qui a été dit, décider comment nous allons nous élever et nous aimer quand même, et puis aimer l’autre aussi puisque l’amour, c’est inconditionnel ou rien… et enfin nous surveiller … Des fois que ce serait nous qui puions ! Nous sommes des occasions les uns pour les autres.
Mais tout ça, on n’en sait rien quand on est enfant, et on n’est pas capable d’appliquer cet autre accord toltèque : « N’en faites pas une affaire personnelle ». Pire, une fois adultes, la domestication terminée, on continue à se domestiquer soi-même tout seul, et ensuite à domestiquer ses enfants. Parce que ce genre d’éducation laisse à l’intérieur de chacun de nous un enfant qui n’a pas pu grandir ; il pleure et il veut toujours plaire à maman, même si maman n’est plus. Les femmes à qui on a dit qu’elles devaient être excisées pour être épousées sont souvent les plus ardentes championnes de l’excision de leur fille, c’est comme ça. La vérité naturelle est devenue cachée et ce que la parole a décidé est devenu une loi.
Pour que notre parole soit impeccable, il faut donc commencer par nous retenir de dire ce que nous pensons quand on nous n’arrivons pas à penser avec bienveillance. Comme dit le psaume : « Place un gardien sur le seuil de ma bouche » ! Je me souviens avoir adressé cette demande à Dieu un soir que je m’en sentais le besoin. Eh bien, le lendemain, je me suis réveillée avec un énorme herpès qui m’a vraiment gênée pour parler… Je ne pensais pas à ce genre de gardien ! Quand la parole s’adresse à un enfant, laisser le mauvais mot derrière la barrière des dents, comme disait Homère, c’est vital. Car puisque nous avons vu que l’enfant ne peut que donner son accord à nos paroles, nos paroles mauvaises lui préparent un avenir de détresse. S’il rencontre l’amour, quelque chose en lui saura que le bonheur sera passager, tellement il ne le mérite pas. Qui pourrait aimer un nul comme lui ?
A ce régime, les petits des hommes perdent de vue ce qu’ils sont vraiment et leur vérité profonde. Ils finissent par croire qu’il y a un bien et un mal extérieur à eux. Certains perdent jusqu’à leur instinct vital et si un jour leurs copains leur disent qu’il faut fumer, se droguer et boire, ou bien tricher, voler et faire du terrorisme, ils suivront cette parole, ils iront faire un casse avec eux, ils prendront une cigarette ou une ligne de coke. Ils auront perdu leur guidance intérieure et intégré l’idée qu’il faut se plier pour être aimé, accepté. Par contre, essayez de faire sniffer de la coke à cochon d’Inde! Votre coke, il sait que c’est mauvais pour lui. Et ne lui demandez pas d’aller faire un casse, il n’ira pas.
Nous devons donc nous rééduquer, mais sans culpabilité. De nombreux humains sur la planète y œuvrent sans faire de bruit, aidés par les neurosciences et ses applications psychologiques et éducatives. Grâce à Rosenberg, on apprend à tout âge la communication non violente dite CNV ; avec elle on se familiarise, je cite, avec « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant », on remplace le jugement par la constatation des faits et on part de son propre ressenti au lieu d’accuser l’autre pour aborder ce qui ne va pas pour nous. J’ai voulu chercher pour cette conférence des informations sur l’éducation positive et je suis tombée sur des dizaines de pages de recherche Google. C’est bon signe : la société tout entière s’ébranle vers une vision plus douce et juste des choses! Personnellement j’aime bien le titre du livre de Jane Nelsen La discipline positive, parce qu’il pointe l’effort qui nous attend pour reprogrammer des habitudes millénaires. Il est merveilleux qu’il ait été acheté déjà par plus d’un million de parents francophones.
Voici quelques propositions de discipline positive envers les petits: limiter les interdictions au strict nécessaire, remplacer par une tournure positive des phrases, c’est-à-dire par une tournure positive de l’intention, de l’image et de leur projection. C’est vrai, pourquoi disons-nous aux petits : « Ne casse pas ça ! » ou « Ne cours pas! » alors qu’on sait maintenant que le subconscient ne comprend ni l’ironie ni la négation, car il ne parle qu’en image et au premier degré, comme un enfant ? Le « ne… pas » ne possède par définition aucune image si bien qu’il lui arrive ce qu’il représente : il n’existe pas… Bien fait pour lui ! Le roi poète David en écrivant les psaumes disait il y a deux mille cinq cents ans dans le psaume 22 : « Le Seigneur est mon berger », avec une belle image. Il utilisait la formulation positive : « Sur des prés d’herbe verte il me fait reposer » et « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie. » Mais au lieu de « Rien ne saurait me manquer », il choisirait peut-être maintenant une formulation du genre « Je vis dans l’abondance à satiété ». Peut-être mais pas sûr, nous sommes tellement habitués au manque que nous avons un peu besoin qu’on en parle ! Quand nous embrassons nos petits sur l’oreiller, préférons « Fais de beaux rêves » à « Ne fais pas de cauchemars », qui est une programmation inconsciente soir après soir du poison de nos peurs. Surveillons-nous.
Une autre proposition de discipline positive, c’est chaque fois que c’est possible, de remplacer l’ordre ou la défense par une question. « Il fait très froid aujourd’hui, qu’est-ce qu’on va mettre ? » L’enfant cherche et utilise sa liberté, et au lieu de se voir affublé d’office d’une paire de collants sous son pantalon, il choisira peut-être une paire de collants sous son pantalon … Le procédé du questionnement sous-tend que l’enfant à la réponse, et ça m’a amusée de voir comment les nouveaux acquis des sciences de l’éducation rejoignent l’antique maïeutique de Socrate, sage-femme accoucheur d’âmes par l’intermédiaire de ses questions posées. L’ordre ou la défense confinent l’autre dans la soumission, la question lui rend sa place. D’ailleurs on a vu en neurosciences que ce n’est pas la même partie du cerveau qui s’active dans l’un et l’autre cas. Ainsi la parole ouvre ou ferme l’intelligence. Bien sûr il ne s’agit pas non plus de fatiguer l’enfant avec des questions incessantes, et quelques ordres peuvent le reposer! Mais d’une façon générale, cherchons à réorienter notre façon de nous exprimer. Tout est ensuite une question d’équilibre
Les bouddhistes et d’autres écrits sacrés nous enseignent aussi l’alignement de nos paroles, notre cœur et nos pensées. Autrement dit, fuir tout ce qui est mensonge. Le mensonge officiel qui nous fait répondre crânement « C’est pas moi » alors qu’évidemment c’est nous, mais aussi le « faites ce que je dis et pas ce que je fais ». Je demande à mes enfants d’être heureux mais ils voient que je pleure dès que je crois qu’ils ne me regardent pas, je leur interdis les gros mots mais j’assaisonne le chauffard qui m’a grillé la priorité etc. Les prêtres de toute religion manipulent et censurent la vie sexuelle des gens et les scandales prouvent que trop souvent leurs pratiques sont pires que celles qu’ils dénoncent ! Il faut donc absolument établir nos propos dans la vérité de ce que nous sommes, c’est la base d’une parole impeccable. Une petite magie enseigne de nettoyer le mensonge quand nous nous brossons les dents, d’en laver notre langue quand nous nous rinçons la bouche, puis de le cracher avec l’eau de notre dentifrice… Un peu tous les jours et nous serons pris au sérieux par notre subconscient…
Une parole impeccable est aussi une parole précise et franche, ce qui est difficile et exigent. C’est pourquoi bien souvent, nous nous contentons de distribuer nos informations à la louche, si nous ne gardons pas des infos par devers nous, et cela oblige l’autre à contrevenir à l’accord toltèque suivant : « Ne faites pas de suppositions ». Or rajouter des suppositions et les prendre pour argent comptant, comme si l’autre avait vraiment dit telle ou telle chose, c’est compléter avec ses propres projections la pensée de l’autre et courir le risque de l’erreur. Et si l’autre dans la conversation fait de même, la communication est doublement faussée et les actions qui doivent en découler sont assises sur des sables mouvants. De part et d’autre il n’y a plus que des projections fausses, illusion, et bien du malheur en perspective.
Car alors surgissent des malentendus, qui sont souvent des mal-sous-entendus. Il faut donc absolument poser des questions. Je me suis rendu compte que j’étais coutumière de l’expression : « Ah mais je croyais que… » et je dois faire un effort non seulement pour m’exprimer complètement, mais pour écouter avec discernement. Car pour une parole impeccable demeure impeccable, il faut de l’autre côté une oreille impeccable. L’oreille impeccable, c’est non seulement celle qui entend très bien physi-quement, mais celle dont le tympan n’est pas obstrué par trop d’émotions, de croyances ou de préjugés. Une oreille droite, en somme, une oreille aussi précise et exacte que la parole qu’on attend. Je suis toujours frappée (si j’ose dire) que lors de disputes les protagonistes reprennent des paroles de l’autre, mais avec juste suffisamment d’infléchissement ou de modification pour rendre toute clarification difficile. Donc, la leçon de l’oreille impeccable, c’est le discernement pour n’entendre que ce qui est prononcé, et pour distinguer quelles informations manquent. Ensuite, il faut de l’audace : osons poser des questions.
Un autre facteur s’avère absolument nécessaire à une communication impeccable : l’attention. Attention à ce qu’on prononce, on vient de le voir, et d’autre part attention requise chez le destinataire… Ainsi, refuser de donner notre attention à qui nous parle est une façon de refuser l’endoctrinement si bien qu’autant l’attention est un outil pour une bonne communication, autant elle est une défense contre une parole qui nous dérange – sachant que toutes les paroles qui nous dérangent ne sont pas négatives ! Je me souviens qu’un jour sur la route des vacances, ma mère sermonnait ma petite sœur, lorsque soudain, celle-ci s’est permis quelque chose que jamais je n’aurais osé et qui me remplit d’admiration : elle ouvrit la fenêtre près de son siège à l’arrière, se boucha les oreilles et se mit à chanter dehors. Une façon comme une autre de refuser l’attention. Et quand j’étais prof, lorsque j’avais quelque chose d’important (du moins à mes yeux) à dire à un de mes élèves, il arrivait qu’il regarde soit par terre, s’il se sentait piteux, soit ostensiblement ailleurs, de préférence vers le ciel s’il était d’humeur insolente. Qu’auriez-vous fait, vous, dans pareille situation ? … Moi je disais rapidement : « Regarde-moi en face, regarde-moi dans les yeux », c’est le b-a-ba de l’éducation et de la domestication. Même à ma chienne je réclamais son regard en cas de bêtise, mais elle détestait ça, elle ne pensait qu’à tourner la tête et aller regarder ailleurs !
Car cette exigence est l’exigence de la focalisation de la conscience, et la conscience préfère l’espace. L’espace relaxe la conscience tandis que le confinement comme la surcharge la fatigue. C’est pourquoi un autre moyen de relativiser la parole de l’autre dans la mesure où elle est négative, c’est d’ouvrir notre attention à 360°, à tout le vivant. Alors la parole qui nous est adressée n’est qu’un objet dans l’horizon. Et si nous nous intéressons avec amour à tout l’horizon, c’est une véritable action qui crée comme un champ d’amour et de vibrations protectrices. La parole négative pénètre dans notre passivité comme une flèche, mais l’action d’amour universel nous protège de sa pointe. Et un jour nous découvrirons qu’il est possible d’écouter avec attention tout en ayant aussi une conscience ouverte… Mais voilà un apprentissage que nous avons rarement reçu n’est-ce pas !
Les Toltèques appellent ces conditionnements humains mitote, c’est-à-dire fumée et cela s’apparente à la Maya des Hindous. Cachée derrière cet écran plus ou moins opaque selon les individus, la réalité devient invisible et les hommes ne vivent plus, ils rêvent. Pire, ils dorment dans les geôles de la parole. Elle est bien puissante cette parole qui détrône et dénature la nature, cette parole à laquelle nous avons donné notre accord. C’ qu’il y a de bien, c’est que si elle est puissante, elle peut aussi créer et embellir. C’est pourquoi don Ruiz parle de la magie de la parole, magie noire quand elle détruit, magie blanche aussi, car la parole est aussi un pouvoir de vie.
Apparemment, tout le monde sait ça depuis longtemps et il y a plus de deux mille ans, Esope, ancien esclave avant d’être fabuliste, en administra la preuve aux invités de son maître Xantos. Je tiens l’histoire d’un autre fabuliste : La Fontaine. Xantos un jour chargea Esope d’acheter pour ses convives la meilleure des choses qu’il trouverait, et celui-ci acheta en quantité des langues qu’il servit du début à la fin du repas, à toutes les sauces jusqu’au dégoût des convives. Sommé de se justifier, Esope démontra que la langue était la meilleure des choses. Alors, amusé par l’intelligence de son esclave et voulant se venger de lui en l’embarrassant, Xantos demanda à ce qu’il leur servît le lendemain ce qu’il y avait de pire et il réinvita ses amis. Hélas, ils durent encore avaler de la langue du début à la fin du repas, au motif qu’Esope démontra parfaitement que la langue était la pire des choses. Magie blanche, magie noire.
Mais comment donc fonctionne la magie de la parole ? Avant la parole, il y a l’intention et l’image mentale. Regardons autour de nous, voyons-nous quoi que ce soit ici qui ne procède pas d’un tel pouvoir ? Rien n’y échappe ni cette table que j’ai rêvée, c’est-à-dire imaginée au sens propre du terme, cherchée et décidé d’acheter avant de prononcer la formule magique « je l’achète », ni notre diner, ni notre présence. Le dessert que nous allons partager après la conférence a d’abord été dans mon intention ; je l’ai rêvé suffisamment beau et bon pour ne pas choisir de vous en faire un autre et puis j’ai pris la décision et j’ai dit la parole. Il y a donc eu une idée de dessert, suivie d’une imagerie positive, puis ma parole a enclenché l’acte de matérialisation. Nous avons tous à notre façon imaginé cette soirée, c’est-à dire créé des images (physiques, émotionnelles, mentales) à son sujet, et ce rêve commun s’actualise maintenant selon la somme de chaque rêve. De même une maison existe d’abord dans l’intention et l’imagerie mentale de l’architecte, avant d’être actualisée.
Pourquoi en serait-il autrement de la maison-terre comme dit le pape François ? Actuellement le rêve de la planète est un cauchemar, je ne m’étendrai pas là-dessus, les informations quotidiennes le font pour moi. Mais nous avons les moyens de modifier le rêve planétaire par une parole impeccable, qu’il faudra répéter et fortifier jusqu’à ce que ce nouveau rêve s’actualise. Car le mot projeté est la programmation de l’intention appuyée sur l’image. Cela risque d’être un peu difficile, parce que nous avons l’habitude d’imaginer et de programmer le pire. Normal, c’est l’information de nos ancêtres depuis Lascaux jusqu’au XXème siècle et ses cent millions d’assassinats par atrocités. Alors si nous décidons soudain d’avoir d’autres intentions pour la terre et de changer de programmation, en nous les mémoires ancestrales branlent la tête de scepticisme, quand elles ne sont pas en train de nous hurler que tout ça c’est des foutaises. Mais sommes-nous obligés de les écouter ? Comment déprogrammer le vieux disque dur et reformater notre cerveau ? Un des moyens est très simple : dès que des paroles négatives se prononcent en nous, à ce sujet ou à n’importe quel autre, on clique Suppr, on dit « Tais-toi », voire comme je le disais tout à l’heure pour la domestication : « Ta gueule. » J’ai essayé, c’est assez sympa, je me suis surprise moi-même à être contente de cette fermeté envers mes pensées de marasme. Exemple : Tu es nulle ! Tais-toi. Ce que la vie est difficile ! Ta gueule.
Et puis il est bon de surveiller quelles associations se collent aux mots que nous employons, afin de devenir le plus conscients possible de notre ambiance personnelle. Prenons l’information répétée sur les routes à chaque passage à niveau : Un train peut en cacher un autre. J’ai déjà entendu l’expression employée par analogie, du genre : une emmerde peut en cacher une autre. Car l’image du train est associée ici à l’image de la mort en marche, c’est ce qu’en grammaire on appelle la connotation.
Il faut changer notre imagerie mentale, choisir avec le cœur une vision haute et large. Pourquoi ne rééduquerions-nous pas notre cerveau à penser qu’un train de friandises peut cacher un train de délicieux gâteaux ou de pizzas ? Faisons un test. Je vous donne un mot, vous laissez venir toutes les connotations, images, ambiances sans juger. Vous êtes prêts ? Je dis « Feu »… Alors qu’avez-vous rêvé ? Un coup de pistolet ? Une flamme de bougie, un feu de cheminée un incendie ou le soleil ? Jouons encore avec « vacances »… Vous souriez, mais maintenant je vous dis : Vos prochaines vacances. Alors ? Là ça se gâte : ranger le garage ? Refaire la cuisine? Manger du melon de Melun ? En vérité, le plus souvent nous ne croyons pas à nos rêves et la censure est ultra-rapide. Il est donc très important d’observer quelles images se mettent en place automatiquement dans notre cerveau derrière les mots pour le rééduquer et redevenir libres.
Nous sommes d’accord que, comme disent les Toltèques, c’est un travail de guerrier. Mais ça vaut la peine. D’abord nous nous sentirons mieux, ensuite nous vivrons mieux, enfin la planète sera de plus en plus belle, car plus nous serons à nous y mettre, plus ce sera facile pour les autres d’en faire autant car nous sommes tous interdépendants et nous aurons créé un flux.
Nous nous sentirons mieux. Petit à petit, nous changerons profondément, ne serait-ce que parce que les cellules de notre corps réagissent à tout ce que nous disons. Tout le monde reconnait maintenant que l’eau a une mémoire et Masaru Emoto a pris des photos des cristaux de l’eau selon les paroles qu’on a projetées dedans. Sachant que notre corps est composé de plus de 80 % d’eau, de quoi sont faites nos eaux intérieures ? Changeons-les, si besoin est, en d’harmonieux cristaux aux couleurs d’arcs en ciels, nous redeviendrons beaux, nos rides s’estomperont et notre teint s’éclaircira. Quand je vous disais que ça vaut la peine !
Ce travail de guerrier vaut la peine ensuite parce que notre vie sera globalement meilleure. Tout tourne dans l’univers, l’énergie comme les saisons, comme le sang dans notre corps. La parole que nous projetons hors de nous fera un petit tour on ne sait où et nous reviendra (à nous ou nos enfants) sous une forme ou une autre un jour où nous ne penserons plus depuis longtemps à ce que nous avons dit. C’est la vision karmique de l’existence. Elle dit que nous récoltons ce que nous avons semé, ou comme disent les enfants, que quand on crache en l’air ça vous retombe sur le nez. Si nous avons médit d’un autre, d’une situation ou de nous-mêmes, la loi karmique est désagréable, mais si au contraire nous avons semé de bonnes paroles, des paroles de puissance et de joie, cette loi de cause à effet s’appliquera tout autant, et le bien nous reviendra, ou à nos enfants. Là, c’est super !
Toute la question est donc de cultiver la conscience de nos paroles, et puis ensuite, la puissance de la parole. Un jour, en disant simplement Sésame, ouvre-toi, Ali Baba le pauvre déplaça une pierre de roc et eut accès au trésor planqué par quarante voleurs dans une grotte. Qu’est-ce que ça signifie ? La grotte, c’est le cœur qu’il faut ouvrir, et le trésor inépuisable c’est la richesse intérieure du cœur. Les biens n’appartiennent pas à Ali Baba, même s’il peut en user librement parce que la richesse du cœur n’est pas de l’ordre de l’avoir, elle vient de l’amour universel. Ça a l’air simple, pourtant seule la formule magique ouvre la porte du trésor. Sans sésame, rien, impuissance. Lorsque Jésus dit : « Lazare lève-toi ! » un corps en putréfaction se rassemble et sort du tombeau. Comment a-t-il fait ? Comment a-t-il pu envoyer par la vibration de ces paroles assez de puissance pour recomposer un corps et rappeler une âme ?
Il est dit le Fils du Père. Que fit donc le Père ? Que nous dit la Bible ? Qu’au commencement, l’esprit de Dieu se mouvait sur les eaux. L’esprit de Dieu, c’est son souffle, selon l’étymologie. Un souffle qui se meut sur une surface provoque un son, tous les trompettistes vous le diront, et aussi le vent qui siffle sur la lande… C’est la vibration primordiale, le son premier créateur. Ce que la bible ne développe pas, les hindous le disent clairement : il s’agit du son Om, son de base qui contient tous les sons, syllabe éternelle, syllabe sacrée qui commence tous les mantras.
Et saint Jean qui conte aussi l’origine du monde, que dit-il de la parole de Dieu ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Toutes choses ont été faites par Lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. » Nous pouvons facilement comprendre la puissance d’action créatrice du verbe rien qu’en pensant à la grammaire française de base. Une phrase est constituée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Le sujet fait l’action, le complément la complète et la précise. L’action c’est le verbe. Facile !
Il faut Dieu, et le Om avec et en lui, et alors la parole peut naître. Aussi, dans la Genèse, c’est seulement après ce mouvement premier, cette vibration, que Dieu dit : « Que la lumière soit ». La parole va matérialiser la puissance du son. Elle va créer les mondes et jusqu’à nous, enfants du Om.
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et heureusement Jésus n’est pas le seul fils du Père. Comme Dieu a créé de la beauté (« Et il vit que cela était beau ») nous pouvons créer nous aussi par la parole beauté, paix, clarté, amour universel, joie et satisfaction et tout ce que vous voudrez. Mais qui va nous enseigner comment ? Pour que notre parole soit comme la sienne impeccable et créatrice, réparatrice et puissante, il nous faut nous rapprocher du verbe paternel, c’est lui qui nous apprendra par sa puissance la puissance de la parole. Oui, mais comment ?
Le travail personnel, l’aide de maîtres religieux ou non, les livres comme les accords toltèques nous mettent sur le chemin, et nous apprennent que les mondes personnels que nous nous sommes créés voilent la réalité, la cachent d’un mitote, rideau de fumée. Or, comme nous avons vu que ce sont principalement les paroles et les pensées qui ont tissé ce voile dans leur magie inverse, cela donne la réponse à notre question. Pour accéder au pouvoir de la parole, il suffit de passer par le silence.
Non pas le silence recroquevillé qui signe l’échec définitif de la parole, non pas l’aveu d’impuissance et l’enfermement mutique et désespéré, non, le silence actif de l’écoute. Pour rencontrer la vérité, il faut faire taire nos mensonges et croyances qui ont commencé par des mots. Écoutons le silence. Pour rencontrer la source de la parole, écoutons le silence. Avec autrui aussi, sachons demeurer silencieux. S’il parle, ne commentons pas intérieurement ce qu’il dit, n’écoutons pas pour répondre, écoutons avec le cœur. Cherchons à installer l’écoute et le silence dans toute notre vie et nous rencontrerons la Vie telle qu’elle est, alors la parole impeccable nous sera donnée. Ne nous inquiétons pas, ne cherchons pas de médaille, simplement, comme le conseille le quatrième accord toltèque, « faisons de notre mieux.«
Et là, enfin, dans les derniers mots de cette conférence, nous nous ressouvenons que le mot parole vient de parabole, para- bolè : jeté à côté, d’où comparaison. Parce que pour être puissante, la parole ne peut pas aller seulement à l’horizontal. Un oui écrasé d’humanité est difficilement un vrai oui. Il nous faut toujours regarder autour de nous l’univers tel qu’il est : dans l’étoile ou le brin d’herbe, la parole de beauté se crée et se recrée. Puis en suivant la signification littérale du mot parabole, il nous faut jeter notre parole à côté de cette parole divine. Mieux même : dedans.
Alors si notre parole fait un tour dans la verticalité du côté de chez Dieu, de chez le Grand esprit, la pleine conscience ou quel que soit le nom que vous voudrez lui donner, ce sera différent. Nous serons munis d’intelligence et d’amour sans limites, et avec ces inépuisables réserves alibabesques, il nous sera plus facile de suivre les Toltèques et tous les guerriers modernes des paroles impeccables. Toutes nos paroles seront des paroles de vie, et aucun de nos mots n’aura la possibilité de rater sa cible. Nous pourrons inventer un avenir radieux pour notre usage personnel et actualiser un rêve de plénitude pour le monde. Notre parole sera impeccable.
Françoise Gabriel