Qu’entend-on par éveil

Terrorisme, guerres, famines, abus de pouvoir et misère et paradis fiscaux, il y a tant de crises sur la terre que beaucoup de gens n’en dorment plus. Mais sont-ils éveillés pour autant? L’éveil serait-il une insomnie ? Qu’entend-on par « éveil », cet éveil dit spirituel, qui fait actuellement la richesse de certains sur la toile, et qui en a mené d’autres à la croix ? Cet éveil si discret le plus souvent qu’il est inaperçu. Comment comprendre en quoi cela consiste ? Est-ce une expérience passagère, un état ? Et à quoi ça sert ? Je vous avoue que les réponses ne m’ont pas été si faciles à exprimer car l’éveil est de l’ordre de l’expérience, et partager une expérience qu’on n’a pas faite, c’est coton ! Mais le sujet était annoncé, et la période de Pâques dans laquelle nous sommes y est propice : le corps de gloire du Christ, c’est-à-dire corps entièrement rempli de lumière éclatante jusqu’à la transmutation, représente l’idée que je me fais d’un corps éveillé. Alors allons-y, et contestez si ça vous consterne.

Une première approche peut nous être facilitée par le dictionnaire et l’étymologie. On lit sans surprise que éveil, c’est de la même famille que veille. Donc absence de sommeil. Oui, mais pas seulement. Le matelot qui prend son quart de veille ne rêvasse pas, il ne joue pas à la Playstation, et les gens qui veillent un mort ne sont pas censés somnoler ni taper la belote : dans les deux cas, attentifs à ce qu’ils vivent, les « veilleurs » exercent leur lucidité pour le bien d’autrui : un équipage, un défunt. Veiller, c’est donc être en état de vigilance, et le mot vigilance est d’ailleurs de la même famille qu’éveil, comme le mot vigile. Un vigile distrait est vite un vigile viré…  L’état de veille est en effet un état d’attention, un état alerte, un état d’alerte plutôt que seulement le contraire du sommeil. Si on regarde d’un peu plus près la famille du mot éveil, on fait aussi connaissance de quelques cousins. La racine vig de vigile se trouve aussi sous la forme veg, comme vig-ueur,  ou vég-étation, expressions de la vie puissante et forte. Bref, selon une définition qui collerait au plus près, l’éveil serait un état de non sommeil, alerte et vigoureux, un état de vie à haute fréquence, naturellement bienveillant et créatif. Les maîtresses à l’école qui proposent des activités d’éveil seraient d’accord avec cette définition.

Ordinairement, nous connaissons trois états : l’état de sommeil, l’état de veille, et l’état de rêve nocturne dans lequel nous pouvons nous croire éveillés tout en dormant, certains rêves laissant même au rêveur des sensations et souvenirs plus forts que des expériences réelles.  Cette définition du rêve (croire qu’on est éveillé quand il n’en est rien) est justement celle que plusieurs traditions appliquent à notre vie de tous les jours. Par exemple, Don Ruiz expose dans Les quatre accords toltèques que notre cerveau est conçu pour rêver. C’est son job. Nous rêvons donc de jour comme de nuit ; or si nous rêvons, cela sous-tend qu’en réalité nous dormons…  Plus nous nous enfonçons dans le rêve, c’est à dire plus nous croyons que ce que nous vivons est absolument vrai de vrai, moins nous avons donc de chance de connaître ce qui s’appelle éveil, c’est logique, puisque s’éveiller implique de sortir du rêve. Mais si on croit qu’on est déjà éveillé, sortir de cet état ne peut pas nous venir à l’esprit, ou l’idée devient insensée : sortir d’où ? Pour aller où ?  En vérité, sans aborder maintenant ce point précis que nous verrons plus loin, il est clair que nous aimons le rêve au point que nous l’épaississons autant que nous pouvons.

Nous aimons par exemple nous projeter dans le rêve des autres. Cela fait la fortune des séries télévisées en « saisons » vendues au nombrBrad-Pitt-et-Angelina-Jolie-veulent-emmenager-a-Londrese d’heures de rêve proposé (510 minutes, 890 minutes !) Et les magazines people se portent mieux que leurs lecteurs : Voici, Gala et autres Closer tirent à des centaines de milliers d’exemplaires des rêves de stars à lire dans le métro. Nous aimons rêver par personne interposée.

Ou bien nous nous immergeons dans le rêve virtuel des jeux vidéo que d’autres ont conçu pour nous. Leur conception fait sans cesse des progrès pour que le rêve soit de plus en plus proche de la réalité, voire plus vivant encore. On peut s’acheter maintenant des masques qui donnent une vision 3D et suivent notre regard pour en agrandir la zone. Dans notre fauteuil connecté, vibrant et pourvu de micros aux appuie-têtes, nous pouvons nous saouler d’émotions si fortes qu’elles détrônent les sensations de la vie ordinaire. Pourtant ces jeux et spectacles n’ont aucune existence, nous sommes simplement immobilisés par des machines qui au sens propre du terme, font écran entre la vie et nous, à un degré parfois pervers.  Sortir de ce monde virtuel pour acheter une pizza sous une vraie pluie risque de paraître sans le moindre intérêt, à moins que nous ne soyons tellement traumatisés par le raid que nous venons de mener que nous n’ayons peur de pousser la porte. Et si un vrai prince charmant aurait attendu sa pizza à côté de nous, hein ? Eh ben tant pis ! Trop rare, trop abstrait pour être attractif ! Faisons livrer et restons assis.

Une troisième solution pour rencontrer une vie de rêves sans nous fatiguer, c’est l’alcool et la drogue. Des centaines de millions de personnes dans le monde sont coincées dans ces paradis artificiels qui virent souvent à l’enfer véritable où le rêve se fait cauchemar. L’enfermement dans l’alcool et la drogue, franchement pathologique, demande libération, cette fois personne n’en doute.

Ces attitudes de fuite devant la vie quotidienne posent le bon diagnostic : il arrive que nos vies soient sans intérêt, ou horribles à en prendre les jambes à notre cou. Métro boulot dodo, c’est fastidieux ; exode, misère et violence, c’est insupportable. Mourir de faim, de soif ou de bombe, ou encore de chimio et d’ablations successives, ce n’est pas mieux… C’est pourquoi le point commun des trois solutions qu’on vient d’évoquer est d’instaurer une autre vie à l’intérieur de notre vie ou carrément à sa place : vies de stars, rêve chimique des drogues ou aventures virtuelles improbables. Le moyen de cette installation est le même dans les trois cas : créer entre nous et notre existence, entre nous et notre personne un écran qui fait barrage avec la vie, parfois au point que nous perdons nos repères et jusqu’au souvenir d’une vie normale (que certains d’ailleurs n’ont jamais vécue). Nous sommes devenus accros, addicts, dépendants d’un mensonge. Nous sommes, comme on dit, « partis ». Pour la direction dans laquelle nous sommes allés,  ne cherchez pas, le plus souvent c’est « à l’ouest ». Et qu’est-ce que l’ouest ? La direction du coucher du soleil, la victoire des ténèbres. N’est-ce pas dommage ?

Il y a des gens qui ne supportent pas cette détresse et qui travaillent à ce que les drogués du rêve reconnaissent qu’ils sont malades de leur rêve. Ensuite, ils essaient de rendre ses couleurs à la vie normale pour déclencher la décision et la volonté de guérir. Parfois leur travail est extrêmement ardu car le souvenir des plaisirs simples d’une vie simple est enfoui, voire comme je le disais, complètement inexistant dans la conscience de ces malades, car ils sont nombreux ceux qui sont nés dans l’enfer.  Les aidants parlent alors une langue étrangère dont les paroles sont comme les lueurs d’une pauvre lampe qui un instant se balance dans la nuit. Mais le petit Poucet a bien été sauvé par une telle lueur, n’est-ce pas ? Un jour un mot peut résonner, c’est la foi des aidants, alors ils parlent inlassablement. Et puis ils mettent en place des protocoles d’aide rapprochée, même s’ils savent qu’ils ne pourront les appliquer à la place des personnes concernées car en dernier ressort, quel que soit le moyen du rêve, c’est toujours  au rêveur de reprendre les rênes en main.

Or si nous écoutons les instructeurs d’éveil spirituel, quel est leur discours ? Exactement le même ! Ces instructeurs essaient de nous montrer notre état maladif et de nous en indiquer les causes, ils nous décrivent inlassablement  la vraie vie d’éveil pour nous motiver, et ils nous donnent des exercices et protocoles d’aide. Voyons.

Au cas où nous????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????? aurions du mal à admettre que nous n’allons pas si bien que ça, rappelons-nous le terrorisme ordinaire de ces derniers mois, et n’oublions pas que nous sommes les enfants d’un XXème siècle si barbare et sauvage qu’il a enfanté plus de cent millions de morts avec seulement trois personnes : Hitler, Mao et Staline. Or les utopies de ces trois personnes ne se sont concrétisées que par l’adhésion à leur rêve de centaines de millions d’autres personnes. Intolérance massive, hiérarchie dans l’ordre des humains, culture de mort. Est-ce un signe de bonne santé ? Les séquelles de leurs actes traumatisent encore les uns et fascinent les autres. Et d’où sont nées de telles monstruosités ? De l’idée de base que ce que je fais à l’autre ne m’atteint pas. Savez-vous quel genre de lieu est collé contre les grilles du camp de Buchenwald à Weimar ? Un petit zoo réservé à la promenade dominicale des SS et de leurs enfants… Comment est-ce possible ? La main dans la main de son papa, voir la biche et son faon, quand deux mètres plus loin, un soldat en armes surveille des ombres décharnées qui titubent derrière des barbelés.

Si ce que je fais à l’autre ne m’atteint pas c’est que je m’en sens séparé, ou plus exactement, « séparé grave ».  Partant de là, je suis enfermé dans ma coquille et cette coquille personnelle prend le nom de « personne », d’autres disent égo. Je suis donc enfermée dans ma personne avec la charge de la faire subsister, et si je crois que pour y réussir, pour survivre, l’autre doit être instrumentalisé, asservi, assassiné, quel argument intellectuel aura le pouvoir de me retenir ? Quand je dis « l’autre », je prends ce terme au sens large parce que la notion de séparation ne me coupe pas seulement des autres êtres humains, elle s’étend à tous les règnes du vivant, animal, végétal, minéral, avec partout la même justification : l’idée d’améliorer ou de maintenir les conditions de subsistance de l’égo qui maltraite. Assassiner des rhinocéros de presque trois tonnes qui se nourrissent de brins d’herbe pour une malheureuse corne d’un kilo, est-ce sensé ? Martyriser les entrailles de la terre pour lui voler son gaz de schiste et mettre le feu aux rivières est-ce indispensable ? Cette vision éclatée  du monde justifie la pédophilie comme la fermeture des frontières aux malheureux qui tentent l’exode pour survivre… Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Parce que nous sommes fous. Une des composantes de l’idée de séparation, c’est l’isolement et l’isolement rend fou. On le sait si bien que dans les prisons, le mitard – de son vrai nom « isolement disciplinaire,  » est limité à trente jours, alors que pour les services de renseignements ou les folierégimes tortionnaires, au contraire c’est un levier.

Donc, dès qu’on adhère à l’idée de séparation, on s’engage dans un chemin tordu, on libère la porte du vice puisque dans cette conception du monde, chacun traite l’autre comme il pense que cela sera bon pour son moi à lui, sans se douter que son moi à lui est fou, depuis des semaines et des années  qu’il est mis à l’isolement !

Vous allez me dire que tout le monde n’est pas pédophile, tortionnaire ou marchand de corne de rhinocéros. D’accord, et alors ? S’il suffisait de refuser le vice ou les drogues pour se libérer de l’isolement,  le suicide  ne serait pas la première cause de mortalité chez les adultes jeunes et les anxiolytiques un des marchés les plus florissants. Chez les animaux, les cas de suicide sont rarissimes, la torture est inconnue, apparemment, ils ne sont pas engoncés dans le même cauchemar que nous. Nous, nous avons bien un problème,  nous sommes bien malades du moi, le moi comme un mauvais rêve. Comment avons-nous attrapé ça ?

Comment sommes-nous tombés malades d’isolement, ou pour le formuler autrement, comment sommes-nous devenus fous victimes d’auto-séquestration ? La réponse est simple : par contagion. Nous avons été élevés par des gens contaminés, nos parents, nos profs, la société. Et qu’est-ce qui les a rendus malade, eux ? Leurs parents, etc etc, mais à la source, qu’est-ce donc qui les a fait déraper ? Le mental. Voyez, ils ont des préjugés, des opinions, mais nous aussi.  Comme la princesse  enfermée dans sa tour, ils sont prisonniers des murailles de leurs mécanismes mentaux. Nous aussi.

Pour tester notre indépendance par rapport à la pensée, faisons un petit test. Réussirons-nous maintenant à nous sevrer de penser,  ne serait-ce que deux minutes? Non, deux minutes, c’est trop long. Trente secondes. …. Alors ? Hum… Nous ne sommes pas maîtres chez nous. Nous sommes des toxicomanes de la pensée. Ce petit exercice suscite-t-il en vous des émotions ? Ennui, surprise, agacement, amusement ou accablement ?  Nous sommes des toxicos de l’émotion aussi.

Il faut sortir de là clament les instructeurs de tout poil ! Certes, nous sommes des êtres de chair pourvus des frontières visibles de nos corps, frontières délimitées par notre peau qui oui, nous donne l’impression que moi n’est pas toi. Mais notre premier âge s’en fichait comme de sa première couche-culotte ! Il ne savait pas comment il s’appelait, ni qu’il avait des pensées ou des émotions « personnelles », il n’en vivait que mieux. Comment retrouver cet état de grâce ? Attendre le dernier âge pour retomber en enfance ? Non, il y a mieux en conscience : carousel-623105_640à tout âge, pour paraphraser le Christ, il est possible de redevenir comme des petits enfants. Nous savons par exemple que les pensées cristallisées nous promènent constamment dans le même manège, jour après jour et année après année. Donc très logiquement, en cessant de nous identifier à ces mouvements de pensées et ces mouvements d’émotions habituels on doit  descendre du manège  et accéder à un autre état qui nous rapprocherait peut-être de l’éveil. Un état nouveau, état ouvert à l’inattendu, ou tout simplement, ouvert à ce qui est sans nos commentaires ou émotions.

On sait qu’une émotion se traduit par une excitation de quelques secondes dans le cerveau. Si on ne s’y attache pas, elle s’éteint toute seule. Sans se livrer à des expériences compliquées, c’est facile à observer chez les petits enfants. S’ils sont contrariés, ils l’expriment à fond dans une grosse colère ignorant l’autocensure, et ils vivent simplement leur émotion quand elle passe. La zone frontale du cerveau qui permet d’établir une distance avec ce qu’on vit n’est d’ailleurs pas encore opérationnelle chez les petits enfants. Les voici donc submergés de colère. On leur propose un dérivatif. Alors, de façon très impressionnante le cri s’arrête instantanément et quelques secondes après, la chose est complètement oubliée. Voici qui paraît extraordinaire à l’adulte. Pourquoi ? Parce que la pensée de l’adulte s’empare de l’émotion et ne la lâche pas. La colère peut durer un peu plus longtemps, voire toute la vie car chaque évocation relance le processus et lui donne de plus en plus de force. L’adulte a un passé, lui, un passé constitué par la réactualisation constante des évènements qu’il a vécus et il se piège lui-même dans le personnage que sa mémoire entretient. Il devient peu à peu Untel fils d’Untel, et son histoire est un  salmigondis de ce qu’il a vécu et de l’expression des héritages familiaux et sociaux anciens, de son milieu, de la société etc, et je pense à la chanson de Brel : Ces gens-là.

Pas question pour moi de lancer une pub pour Alzheimer, nous avons une mémoire bien utile, certes, et il faut la garder, mais à sa place.  Par exemple, pour aller faire son marché, il est intéressant de se souvenir d’où il se trouve… mais est-ce vraiment nécessaire d’y aller comme quelqu’un de séparé, avec une histoire particulière, souvent triste ? Le prof se promène au marché comme un prof et le mendiant comme un mendiant, parce que même s’ils n’ont rien à acheter ni l’un ni l’autre, ils se souviennent de leur identité.  C’est pourquoi le mendiant a peu de chances de séduire la princesse ; dans l’univers mental de sa petite personne, il y a la soupe populaire. Dans les contes, les pauvres qui y parviennent se mesurent aux princes voisins comme s’ils étaient des rois eux-mêmes, et comme ils ne sont pas accrochés à leur passé ni à leur histoire ils font confiance à la complicité de l’univers.  Alors en effet, ils reçoivent l’aide inattendue de la grenouille et du poisson, ils séduisent la fille du roi, et pour finir ils se marièrent et ils eurent beaucoup d’enfants. Et nous ?

Nous, nous avons une trop bonne mémoire si bien que nous sommes encombrés par nos propriétés, mais nos propriétés au sens large. Nous avons du pouvoir ou des complexes, une voiture ou un passe navigo et nous nous en souvenons. Nous souvenir entraine un raidissement dans notre façon d’aborder la vie. Nous devenons quelqu’un avec des devoirs, des désirs et des aversions, et des contraintes de comportement s’installent pour leur obéir.

Nous nous contraignons ainsi nous-mêmes à la répétition comme des perroquets qui répètent la même phrase quelle que soit la situation, comme l’allumeur de réverbère de Saint Exupéry dont la planète, bonjour, tournait de plus en plus vite, bonsoir, sans qu’il réfléchisse à « la consigne ».  Cette tension que nous laissons s’installer dans nos vies conduit la conscience à se replier sur elle-même et à s’occuper uniquement de ce qui préoccupe l’égo. Repliée, elle ne voit plus les cadeaux inattendus du présent, oublie les sensations du corps. Elle croit qu’elle est ce qu’elle vit, et nous devenons le jouet de l’existence au lieu de jouer avec elle.

Rousseau a dit que le malheur du monde est venu du jour où quelqu’un s’avisa de dire « Ceci est à moi », le délimita d’un piquet pour figer la choserousseau-par-la-tour, et qu’on le  crût. Une formulation plus juste serait non pas « Ceci est à moi », mais « Ceci est moi »  car il fallait bien une personne pour posséder quelque chose, et une autre pour le croire, créant ainsi les rôles du voleur et de la victime. Mais foncièrement, n’y avait-il pas d’abord deux vivants sans étiquette ?

La mémoire, la pensée et l’émotion sont donc les virus qui créent l’addiction à la personne séparée et à l’égo et qu’on attrape par la contagion de l’éducation.  Alors les instructeurs en éveil spirituel, comme les aidants des toxicos, cherchent à nous décrire la vraie vie pour nous donner envie de la vivre. Ils disent que si avoir une personne est tellement pernicieux, c’est  qu’elle ne représente pas notre état naturel parce que fondamentalement, nous ne sommes pas des personnes. Là, une incompréhension fondamentale sur le sens même des mots, nous sommes saisis d’une méga trouille: Qu’en serait-il de nous s’il n’y avait personne ? Dans quel monde vivrions-nous ? Alors, ceux qui ont connu l’éveil et qui acceptent d’en parler ressassent les paroles des anges de la bible : « N’ayez pas peur ».

Ne pas être une personne, ça ne veut pas dire mourir. J’ai mis longtemps à le comprendre. Imaginons qu’au cours d’une promenade vous aperceviez un danger terrible. Vous allez prendre les jambes à votre cou. Plutôt vos jambes vont vous emporter, non pas votre raisonnement. Le temps que vous pensiez : « Ceci est trop dangereux pour moi, je considère qu’il est préférable que je m’éloigne », vous  auriez été dans la gueule du lion. Il existe donc un autre vous que vous : un vous qui est sentant et agissant, pas un vous pensant. La pensée est bien trop lente, nous sommes plus que la pensée.  Et dites-moi, qu’est-ce que vous préférez, danser avec un partenaire qui pense à ses pas et les compte, ou avec un danseur qui se contente de danser ?   Selon ces maîtres, l’éveil serait si simple que c’en est ballot, c’est juste se contenter de vivre ce qui est.

Et qu’est-ce que deviendrait le monde s’il n’était pas dirigé par des personnes ? Comment s’en sortirait-il ? Mieux.  C’est simple : si être une personne, c’est devenir le centre de ses propres préoccupations dans un monde hérissé d’autres personnes comme des dangers potentiels, ça fait autant de centres que de personnes. Or nous vivons tous sur le même organisme planétaire. Ca lui fait donc combien de centres, à cet organisme ? Huit milliards de centres qui prétendent chacun être le seul centre ! Comment ça peut marcher, ça ? En outre, se prendre pour le centre du monde, c’est un peu moyenâgeux vous ne trouvez pas ? Comprendre rationnellement que nous ne pouvons être l’unique centre de la planète avec les désastreuses conséquences que ça implique, c’est une partie de l’éveil. Le sentir, et sentir qu’au contraire nous baignons dans une harmonie qui est, les maîtres disent que ça, c’est l’éveil. L’intelligence ensuite comme un bon serviteur met en œuvre ce qui doit l’être pour s’harmoniser avec ce qui est.

Du coup on peut comprendre la phrase de Jésus : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même. »  Il ne s’agit pas de se suicider, ni de se faire souffrir  pour se « dresser » car du moi jouisseur au moi dresseur, il n’y a qu’un jeu de « moi».  Il s’agit plutôt de renoncer à cette construction de la pensée qu’on nomme « personne », entité  condamnée à l’isolement, de renoncer à se prendre pour un centre du monde. Mais on ne renonce pas pour le vide, on renonce pour beaucoup mieux, pour la plénitude de la vie, c’est ce que veut dire « venir à ma suite ».  En d’autres termes, renoncer au multiple est la condition pour pouvoir entrer dans la conscience de l’unité, unité qui n’a jamais cessé d’être malgré notre délire.

Et là, il parait que c’est le pied. Ne plus avoir à tout gérer sans rien connaître, c’est un repos merveilleux. On remet tout à l’intelligence supérieure de l’univers, à l’amour créateur, on cesse de créer des brouillages et on se repose. Maman s’occupe de tout, et c’est bien mieux : bien installés dans le fauteuil de notre bassin, nous n’avons qu’à voir, tout au plus à mettre en œuvre. Il n’y a qu’à lire ce qu’en disent les mythes, ils appellent ça l’âge d’or.

âge d'or

Les hindous le nomment Satya Yuga, les mythologies gréco-romaines en font aussi état, mais leur message est que ce monde est totalement perdu, terminé.  La bible en parle au futur : « On n’aura plus des enfants pour l’épouvante », « le loup séjournera avec l’agneau. » Une image à venir d’un paradis terrestre donné aux premiers jours dans l’Éden et à retrouver depuis notre chute de cet état au nôtre.

Chuter, c’est descendre. Tout dans l’univers étant énergie, il doit s’agir d’une chute de tension, une descente de notre taux vibratoire. Or puisque tout le monde sait bien qu’on se sent mieux quand on est en pleine forme que quand on est à plat, c’est facile d’imaginer que retrouver notre vibration première doit être un pur bonheur. Cette vibration doit être claire lumière puisque son âge est d’or et il est possible de la retrouver puisque l’état de chute n’est ni notre état naturel ni notre programmation initiale. Nous pouvons recontacter cet état, nous y éveiller, retrouver l’état christique ou état de bouddha car en vérité, c’est lui notre état normal.  D’ailleurs entre nous, si notre enfant tombe, n’est-il plus notre enfant ?

Pour résumer, l’éveil est un état de paradis qu’on n’atteindra pas avec la construction de notre personne, et qui pourtant nous attend parce qu’il est. Théoriquement, la chose est à peu près compréhensible. Par contre, pratiquement, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai le plus grand mal à comprendre ce que c’est que vivre sans qu’il y ait quelqu’un pour le faire. Quand j’ouvre les yeux par exemple, je vois. Eh bien, pour chercher l’éveil, il ne faut plus que je voie, il faut que l’œil ouvre sa paupière et que la vision soit.

En d’autres termes, il existe une conscience visuelle qui se moque de ce que je pense, et on peut en dire autant des cinq sens. D’ailleurs certains dorment les yeux ouverts et ne voient rien avec leurs globes oculaires: la conscience s’en est retirée. Je me souviens aussi d’un accident de la route que j’ai eu il y a quelques années. Le conducteur avait vu le feu au rouge  tout en ne le voyant pas, sa conscience était ailleurs. Donc revenons à la conscience visuelle ; le matin, je vois qu’il pleut, j’ai un avis personnel sur la question, et ma conscience se rétracte aussitôt à ma petite personne et à son avis, je suis partie pour une journée ordinaire, voire une journée pourrie si je n’aime pas l’humidité. Autre scénario : il fait jour et ça ouvre mes yeux, ça voit la pluie et tout reste tranquille. Dans les deux cas,  je peux prendre un parapluie. Troisième scénario, j’ouvre les yeux, j’ai un avis sur la question, ne serait-ce que me souvenir de ne pas avoir d’avis sur la question, et j’observe ce que je pense avec le moins de complicité possible avec ma pensée, c’est-à-dire avec le moins d’identification possible de moi à elle. A ce moment, je peux prendre conscience que je vois l’image de la pluie devant moi, et aussi ma pensée surajoutée à l’image.

Et qu’est-ce qu’on fait de ça ? On se libère de la personne. Pour voir un tableau dans un musée, il ne faut pas être le tableau. Pour voir une pensée, il ne faut pas être la pensée. Ce qui me permet de voir l’image et de voir la pensée, c’est justement la conscience. On peut aller plus loin. Ce que je vois et que je peux saisir ce sont des objets : la pluie, le parapluie. Mais je peux aussi saisir des pensées, en prendre une et l’analyser, et si je peux le faire, c’est que la pensée est un objet. Un objet subtil, mais encore un objet.

Pour l’instant, la pensée est l’objet de mes pensées… Or qui voit ce jeu subtil de la pensée ? La conscience.  C’est par elle que je sais que je vois, que j’entends, que je sens, que je goûte, que je pense. C’est par elle que j’appréhende mon corps et mes émotions, c’est elle mon plus grand trésor. Elle est en moi mais elle n’est pas à moi et moi je suis en elle et ça ne se peut pas que j’en sois séparée puisque elle est. Une flamme peut-elle être séparée du feu ? Il n’y a pas de lieu où chercher l’éveil. Il est en nous, il est là nous sommes dedans.

Lorsqu’on va voir un tour de magie, les petits et les naïfs regardent le chapeau, les curieux observent le prestidigitateur. Notre égo comme un enfant regarde uniquement les objets qui sortent du  chapeau et il oublie le magicien. Piégé par la fascination du tour, il oublie la source du miracle et fasciné par la forme il nous fait croire que nous ne sommes que ça. Et nous croyons être monsieur Dupont ou Toto le rigolo.  La conscience aime jouer, elle joue à obéir à notre égo car cechapeau qui intéresse la conscience c’est de se connaître quelle que soit l’expérience proposée, comme on dit aujourd’hui, elle est participative. Elle se contente donc d’être le lapin qui sort du chapeau elle s’identifie à l’objet et elle peste puisqu’il pleut. Cette identification de notre mental à l’objet, c’est l’endormissement de la conscience, sa focalisation extrême. La désidentification, la défocalisation, l’ouverture, c’est l’éveil à la réalité dans ce qu’on appelle l’expansion de conscience.

A ce moment là nous prenons conscience que nous ne sommes pas seulement le lapin du chapeau. Nous sommes le chapeau, le tour de magie et le magicien. Nous sommes les spectateurs curieux et les petits enfants. Nous sommes tout et donc aussi l’énergie qui a permis ce tout  et l’origine qui l’a voulu. Alors le spectacle est extraordinaire. La vie prend une autre saveur. Dès lors si le lapin souffre un peu parce qu’on lui tire les oreilles, la conscience reste dans la jubilation parce qu’elle est tout, dans tout. Si le lapin souffre un peu parce qu’il sait qu’il va mourir, la conscience reste tranquille, elle sait quelle est plénitude de lumière et d’amour, jeu d’énergie, sans forme et dans toutes les formes, sans temps et dans tous les temps. Elle ne connait ni la naissance ni la mort qui sont des événements historiques, elle est. L’être éveillé voit donc sa souffrance disparaître tandis que s’écroulent les murs de sa prison. Dire que sa souffrance disparaît est encore insuffisant : il devient un avec la jubilation de la conscience. Il est à la fois ce qui passe et ce qui reste, la matière et la lumière, la joie et celui qui l’éprouve. Il est l’amant, l’amour et l’aimé.

Platon a mis ça en scène il y a 2500 ans dans l’allégorie de la caverne. On lit cette histoire qu’on nomme aussi mythe, comme une description des philosophes et de la philosophie, mais à mon sens, c’est une parabole de l’éveil : dès qu’on choisit cette option de lecture, le moindre détail trouve sa place. Alors voilà.

C’est l’histoire de personnes enchainées (nous, toxicos de l’égo) qui se trouvent en bas d’une caverne (notre monde de la chute sans la vérité de la conscience, avec ses vibrations basses), dos à la lumière (notre fonctionnement ordinaire). Elles assistent au  simulacre  de la vie sur une paroi qui sert d’écran (elles ne voient qu’un film, une illusion, comme les accros aux feuilletons, mais on ne sait pas combien d’heures compte la série, ni combien de saisons). Ces spectateurs sont addicts et à tel point enfoncés dans cette habitude de vivre qu’ils sont comme nous persuadés que c’est la normalité d’être enchaînés en bas dans la caverne et de prendre une projection pour la réalité.

Ensuite, Platon met en scène les instructeurs spirituels qu’il nomme philosophes, c’est-à-dire amoureux de la sagesse. Les philosophes sont d’abord des gens qui ne sont pas totalement happés par l’image, une part d’eux s’interrogent : D’où viennent ces images ? Ils cherchent, et ne voyant rien sur le plan horizontal (la vie matérielle et physique sur la terre) ils lèvent le nez (vers les fréquences plus fines de la conscience). Là, ils découvrent le projecteur (la source) et la lumière (la claire conscience). Ce projecteur se trouve en hauteur (la hauteur philosophique ou des plans vibratoires plus élevés)  et on comprend que c’est le soleil (soleil de lamythologies-platon-mythe-caverne-543po connaissance). Il n’y a pas d’ombre sans lumière… Alors avec courage et solitaires, attirés par le ciel et la lumière, ces philosophes entreprennent l’escalade du raidillon qui monte le long des murs de la caverne (ils travaillent sur eux). Platon ne dit rien du tracé du chemin, mais on peut supposer qu’il parcourt les murs de la caverne en spirale montante, comme notre ADN, comme les raidillons sur la montagne,  de plus en plus près de la sortie. Et puis soudain, nos philosophes débouchent au grand jour (la libération du monde de l’illusion). Ils s’y promènent librement, il n’y a pas de temps d’adaptation : ils sont chez eux dans la lumière, ils peuvent entrer et sortir de la caverne s’ils veulent. Ils sont dans la jubilation de l’unité et de l’intelligence.

Après quoi Platon remarque que donc, si ces explorateurs revenaient dans les profondeurs pour partager leur émerveillement avec les autres prisonniers, on ne les écouterait pas. Pire, s’ils essayaient d’en monter certains malgré eux le long des parois pour les convaincre, ces derniers en seraient furieux. On le serait à moins d’ailleurs : l’ascension est inconfortable, la lumière dérange les yeux et en plus, ce que disent ces amoureux de sagesse est inconcevable pour l’intelligence ordinaire, ça ne fait pas partie des expériences connues.  Les troglodytes sont contents de leurs croyances, l’aventure de l’ascension ne les concerne pas.

Et même, attention ! Si ces trublions de philosophes insistaient, les troglodytes se laisseraient emporter par quelques émotions comme la fureur et la haine, et ils s’en débarrasseraient – d’ailleurs 400 ans avant Jésus, Socrate en fait l’expérience. Alors Platon conclut qu’à défaut d’un éveil général, il faut que les éveillés laissent le peuple dans l’ombre et prennent la tête de la cité pour un gouvernement éclairé, et on lui a reproché cet élitisme politique. Chez les Romains, Sénèque a tenté de coacher Néron. Rome a brûlé quand même et Sénèque a mal fini, ce ne fut donc pas parfait… mais comme je l’ai dit, rien ne peut se faire sans l’adhésion et l’engagement personnel du coaché.

Aujourd’hui, les présidents vont voir des voyantes plus que des sages et pourtant il existe encore de nombreux guides spirituels pour dire aux aventuriers de l’éveil comment faire l’ascension des parois de la caverne, comment on peut déboucher dans la lumière.

Selon les témoignages, on n’entre pas forcément d’un seul coup et pour toujours dans cet état de conscience. Il arrive qu’on entre dans ce paradis et qu’on en sorte, qu’on l’ait entrevu seulement, je ne sais pas pourquoi, sans doute à cause de notre degré d’attachement à notre vie historique. Y a-t-il quelque chose que nous ne voulions pas lâcher ? Un ami, un amour, une rancune ? Une idée de nous-mêmes ? La croyance que cet état n’est pas pour nous, par exemple que Jésus est le seul autorisé étant fils unique ?  Orphée sortant des enfers se retourne et échoue, et la femme de Loth devient statue de sel. Quelle que soit la multiplicité des causes possibles, leur désactivation est toujours la même : simplifions-nous, lâchons tout et quittons l’ancien.

D’autres qui ont vécu cette expérience d’éveil ont aussi reçu le nom de réalisés. La réalisation, c’est simplement le fait de réaliser que nous étions déjà cet infini,soleil cette lumière, cet amour et cette puissance de création avant notre arrivée sur terre et depuis que nous y sommes aussi puisque rien ne peut être sans cette puissance. Qu’on en prenne ou non conscience ne dérange pas la conscience. Pour ne pas être au soleil, il faut se mettre à l’ombre d’un objet, mur ou arbre… ou nuage! Mais cela n’oblitère pas le soleil n’est-ce pas ?

L’éveil, c’est s’éveiller à la vérité que n’ayant pas de forme nous pouvons nous glisser dans toutes les formes sans y être enfermés, c’est comprendre que tout en ayant une forme nous sommes d’abord sans forme et que notre conscience sans forme  aime toutes les formes et la nôtre aussi. Nous sommes dans nous, et ce nous est feu. Travaillons donc avec la lumière, introduisons-la en nous et dans nos vies.

Car il ne s’agit pas de détester notre personne, mais de la vivre autrement en redonnant leur juste place à notre corps, notre cœur et notre cerveau. Notre corps d’abord, respectons-le, chouchoutons-le: c’est en lui que nous vivrons l’éveil, et il est un fidèle serviteur qui se prête à tous les nettoyages et toutes les alchimies : comme disent la plupart des traditions, c’est le temple. N’ayons pas de haine pour nos émotions, même négatives, conduisons-les plutôt vers leur vibration parfaite d’amour et de joie ; offrons  notre intelligence au soleil de la sagesse divine qui a conçu et créé les mondes, notre intelligence, n’en sera pas amoindrie. Loin de nous haïr nous-mêmes, il faut donc nous réconcilier avec nous-mêmes dans toutes nos dimensions, réconcilier la sagesse et l’amour, et célébrer cette réconciliation dans notre corps. Du cerveau au cœur, organiser la rencontre. Alors nous vivrons en nous l’amour flamboyant entre notre être relatif et notre être absolu, entre notre être destructible et notre éternité. Nous comprendrons que toutes les formes, y compris la nôtre sont le lieu de la jubilation du sans forme qui se mire dans la forme.

Nous sommes les miroirs de Dieu, n’est-ce pas merveilleux ? L’éclat du visage de Moïse après son expérience au Sinaï l’obligea à se couvrir d’un voile. Et les maîtres disent qu’outre l’expérience du reflet, on peut vivre celle de la fusion. C’est le symbole de la croix  avec ses deux branches : l’horizontale pour notre horizontalité dans le temps et l’espace, la verticale pour notre reliance avec le feu divin. Au point de contact, le cœur. A Pâques, Jésus crucifié devient Christ, il n’est plus que corps de lumière, et à l’endroit de son cœur, on dit que coulent des fleuves de l’eau vive de l’amour. Ce chemin de Noël à Pâques est  proposé à qui a l’envie et la volonté de le parcourir, à qui a le courage de quitter la prison délétère mais rassurante de la personne pour explorer l’inconnu. Après l’Expérience, le chemin sans doute ne sera pas terminé, mais cheminer avec la lumière sera autre chose que notre obscurité.  Car au centre de la croix, tout le pouvoir de Dieu sera nôtre, puisque tout est Un, le feu de Dieu nous réparera et nous réparerons la terre dans la condition naturelle de notre être, un état de présence claire et éveillée, forte et tranquille. Un état divin parce que nous serons unis au divin, Un.

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Françoise Gabriel